La science et le chat du cheshire

Il ne suffit pas de vulgariser les acquis scientifiques pour que le public les comprenne et y adhère. La perception qu’il a des institutions de la science joue un rôle clé.

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POUR LA SCIENCE N° 497

Lors de son congrès annuel de 2008, l’Association américaine des centres de science et de technologie a consacré une session à la perception publique des controverses en science. Étonnés par l’imperméabilité de l’opinion à la méthode scientifique, directeurs de musées et éthiciens insistaient sur la nécessité d’orienter les centres de science vers la prise en compte des contenus controversés et des enjeux éthiques qui les structurent.

Dix ans plus tard, l’angoisse que suscite l’incompréhension des acquis scientifiques par le grand public reste d’actualité. Qu’il soit question d’écologie, d’énergie, de biotechnologies ou de sécurité des vaccins, la lente traversée des faits avérés est encore freinée par la cacophonie des énoncés pseudoscientifiques circulant dans certains médias et sur Internet.

En France, dans une tribune de L’Express publiée le 4 décembre dernier, 131 membres des académies des sciences, de médecine et de pharmacie ont rappelé que l’efficacité des produits homéopathiques n’a jamais été prouvée. Quelques mois plus tôt, c’est presque autant de professionnels de santé qui dénonçaient dans Le Figaro les promesses fantaisistes des médecines alternatives.

Intuitivement, la vulgarisation scientifique apparaît comme le moteur premier d’une percolation du savoir vers les couches profondes de l’opinion. Mais en réalité, l’adhésion à la parole scientifique dépend de la confiance dans ceux qui la produisent.

Un rapport de l’Académie américaine des arts et des sciences publié en 2018 sur les perceptions de la science et une étude de 2017 menée par Caitlin Drummond et Baruch Fischhoff, de l’université Carnegie-Mellon, aux États-Unis, défient nos idées reçues. Ils montrent que l’adhésion des Américains aux conclusions des recherches sur les cellules souches, le Big Bang, l’évolution humaine ou le changement climatique est corrélée à l’identité politique ou religieuse des gens. Et cette polarisation est plus marquée chez ceux ayant un niveau élevé d’instruction et de culture scientifique ! En revanche, elle disparaît quand les sujets abordés concernent le génie génétique ou les nanotechnologies.

C’est qu’une autre variable intervient fortement : l’adhésion au consensus scientifique dépend étroitement de la croyance en la fiabilité des organisations produisant et certifiant les savoirs. C’est ainsi, par exemple, que la remise en cause des expertises publiques encourage les traitements médicaux charlatanesques ou non homologués, en marge des disciplines instituées ou des cadres classiques de régulation du médicament.

Dans cette même veine, le dernier baromètre de la confiance politique du Cevipof met en évidence que le populisme, défini par le rejet des institutions de la démocratie représentative, est une variable importante de la défiance vis-à-vis des activités scientifiques.

La confiance sociale dans la parole scientifique résulte donc d’un rapport entre un contenu et un cadre institutionnel incarnant le bien commun. On peut la lire comme une parabole du chat du Cheshire, ce malicieux personnage de Lewis Carroll qui disparaît à la fin des Aventures d’Alice au pays des merveilles en laissant son sourire accroché à un arbre.

Un sourire dénué de visage qui le porte évoque une image dont il est impossible de tracer les contours. De la même façon, un contenu scientifique sans l’ossature institutionnelle qui lui donne autorité incarne une simple opinion comme une autre. À l’instar d’Alice qui a « souvent vu un chat sans sourire, mais jamais un sourire sans chat », il nous faut apprendre à redessiner le visage souriant des institutions scientifiques dans un marché dérégulé de l’information où règne la confusion des légitimités.